Premier Contact avec l’humanité

Despite knowing the journey… and where it leads… I embrace it… and I welcome every moment of it.

« Premier contact » avec l’apprentissage de l’autre

La science-fiction ne se conjugue jamais totalement au futur. Elle prend souvent source dans notre époque et notre société. Un futur au présent, un futur intemporel. Rien que par le genre, le film se place dans un système particulier. Il ne sera pas ce que vous pensez. Il sera une réflexion de notre être. Avec Premier Contact, Denis Villeneuve signe une oeuvre qui ne se conforme pas à la narration traditionnelle pour nous parler de manière universelle.  

Comment décrire la vie ? En commençant par le début ? De manière tout à fait linéaire ? Autant de questions qu’amène Louise Banks (Amy Adams) dès le début du film. Nous comprenons que l’œuvre aura un rapport au temps bien particulier sans savoir encore ce qui en découlera. Dès la scène d’ouverture, se met en place une atmosphère de nostalgie maussade, notamment par la présence d’une chanson que l’on entendra à de nombreuses reprises dans le film, On the Nature of Daylight de Max Ritcher. La mélancolie du moment est palpable. Ce choix n’est pas anodin : l’émotion qui s’en dégage est incroyable. Nous apprenons alors que Louise souffre de la perte d’un être cher – sa fille – grâce à un système de courtes séquences la montrant jouant avec elle, lui apprenant des choses etc. Ces séquences évoluent tout au long du film, de plus en plus fortes et significatives jusqu’à ce qu’elles prennent sens.

Au même moment, un phénomène paranormal se passe : dans douze endroits du monde se placent des « vaisseaux » extraterrestres. Le monde vacille tout comme la vie de Louise qui va prendre un tout autre sens. Experte linguiste, elle se fait contacter par l’armée pour les aider à discuter avec ces êtres inconnus. Elle doit rapidement déchiffrer leur « langage » pour pouvoir entrer en contact avec eux. Ce besoin de communication va devenir un point important de l’œuvre pouvant autant détruire l’humanité que la sauver.

Villeneuve nous propose un film de sci-fi qui se veut visionnaire et réactionnaire, bien différent des films typiques d’invasion. Le propos y est différent : la question n’est ni de fuir ni de combattre mais de comprendre. Que sont-ils ? Que font-ils ici ? Que nous veulent-ils ? Comment entrer en contact avec eux ? Toute la clé de l’histoire se trouve dans le terme même du langage et de la communication, une chose si difficile pour l’Homme.

Le langage comme compréhension de l’autre

Avant de rentrer dans le sujet, il est bon de rappeler les définitions que Saussure a donné au langage et à la langue. Le langage est la faculté de s’exprimer à travers un système de signes distincts. Ces signes sont l’assemblage de la langue et de la parole. La langue est l’ensemble des conventions données par le corps social et la parole est le moyen verbal de communication.

A travers cette rencontre entre deux mondes distincts, celui des extraterrestres et celui de Louise, le réalisateur canadien expose une théorie qui a beaucoup été travaillée en philosophie et en linguistique : la théorie du langage. L’idée soulevée est celle postulant que nous ne vivons pas tous le même réel. Nous vivons tous dans le même monde mais la perception de chaque chose change en fonction des mots et de la grammaire que nous utilisons pour les exprimer.

 Comment le langage forme-t-il notre réel ? Comment créé-t-il nos peurs, nos ressentis ?

Le film exprime plutôt bien cette idée en explicitant la différence et les difficultés qu’il y a entre les deux langages. Il suffit de prendre l’exemple du mot « arme » qui va tant rendre fou le monde entier. Les deux aliens heptapodes avec qui discute la linguiste ont utilisé ce signe de leur langue signifiant « arme » mais n’ont précisé aucun contexte. Alors que l’armée, les grandes nations comme la Chine ou encore la population se sont mis à paniquer pensant une destruction de l’humanité imminente, seule Louise a défendu leur cause, expliquant qu’un mot dans une langue pouvait avoir plusieurs significations dans cette même langue ou dans des langues différentes. Et il s’avère que pour les créatures « l’arme » était un terme positif puisqu’elle représente le don qu’ils ont fait à Louise. C’est alors la perception du monde qui change en fonction de la linguistique. Tout est une question de communication.

Ainsi, apprendre un nouveau langage consiste en une série de vocabulaire et d’histoire à apprendre pour s’adapter à cette nouvelle approche du monde. On retrouve dans cette idée la proposition même du film : découvrir et apprendre un nouveau langage en adoptant une nouvelle manière de voir et de ressentir les choses qui pourrait sauver l’humanité tout entière, quitte à tout perdre, comme Ian le mentionnera :

Toute cette attention sur le langage alien.
Ecoute, j’ai fait quelques recherches et il y avait cette idée comme quoi t’immerger dans une langue étrangère pouvait reformater ton cerveau… Rêves-tu dans cette langue ? 

Finalement Premier Contact va au-delà du terme même du langage, il parle du langage comme construction de notre vie. Ce qui importe derrière l’idée de langage est le parcours de vie qui nous amène à penser de telle manière et à nous exprimer de cette façon.

Dans le film, un des militaires présents en vient à exprimer la différence entre le langage strictement militaire où les signes expriment clairement le geste attendu et la langue parlée de « tous les jours » qui, elle, est plus un jeu de sensation, de vision, de contradiction etc. Finalement, il y a une différence entre l’interaction avec les autres et l’interaction avec le monde.

Ainsi, le langage a des conséquences car il agit sur nos façons d’agir. Louise a commencé à comprendre les aliens heptapodes lorsqu’elle a arrêté d’essayer de les comprendre en prenant sa langue et son monde pour les traduire, mais lorsqu’elle a décidé de se laisser aller à ressentir les choses comme eux les ressentaient. Premier Contact essaie de nous faire comprendre que nous devons constamment réadapter notre façon de concevoir les choses car rien n’est pré-construit. Tout est toujours en mouvement constant. Notre commencement ne correspond pas à notre fin et nous avons besoin des autres pour le compléter.

Connaitre la fin pour mieux vivre

C’est aussi un film sur la question de la perte et de la vie. Si nous connaissions déjà la fin, irions-nous tout de même jusqu’au bout ? Referions-nous les mêmes choses ?

L’idée même est de repenser l’humain et sa conception du monde et des choses. Ajoutant une part de sensible, ce deuxième pan de l’histoire vient remettre en question le fonctionnement entier de notre existence. Les extraterrestres, ces êtres venus d’ailleurs avec un autre mode de langage, viennent apporter « l’arme ultime » pour réunifier notre humanité violente et divisée, dans la paix. Cette « arme ultime » Louise sait très bien ce qu’elle est : leur langage. Elle devient le fil conducteur entre les deux mondes et fera tout pour aller jusqu’au bout afin de donner un meilleur avenir à l’humanité, quitte à se sacrifier elle-même.

On y retrouve ici la théorie d’Heidegger selon laquelle l’être a besoin de vivre dans la connaissance de la mort pour être pleinement lui-même et vivre sa vie de manière authentique.

Même si je connais ce voyage… Et où il mène… Je l’enlace… Et j’en salue chaque instant. 

L’être et le temps rejoignent le langage, donnant à Louise la possibilité de vivre pleinement son existence de mère et de femme d’une manière dont elle ne l’aurait sûrement pas fait en temps normal. D’une certaine manière, les extraterrestres lui donnent le pouvoir de « voir » le futur et ce qui lui attend, la mort. Cela passe par cette question du langage extraterrestre qui, comme elle le précise elle-même, « n’est pas linéaire et ne comprend pas le temps de la même façon que nous ».

En effet, leur langue s’écrit avec les deux mains de l’avant à l’arrière, d’une forme circulaire mais pas totalement… Comme une manière de donner une représentation non-linéaire à une réalité non-linéaire – ces questions de voir dans le présent le futur qui influence alors ce présent – racontons-nous alors le début ou la fin de l’histoire ?

Exemple de l’écriture de leur langue avec le mot « Louise »

La fin du film montre qu’au lieu de fuir ce triste présage, elle l’accepte et décide de vivre la chose jusqu’au bout.

Et si tu connaissais la fin, changerais-tu les choses ?

Denis Villeneuve remet en question notre rapport à la vie et aux choses, nous touchant au plus profond de notre être. A travers une esthétique épurée, et une sensibilité qui nous bouscule, il signe avec Premier Contact, une œuvre riche et juste. Fascinant.

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